Toi

 Depuis le début de ma conscience, je ne m'aime pas. Je n'aime pas qui je suis, je n'aime pas ce que je suis, je n'aime pas mon physique, mon visage, ma voix, mes manières. Je n'aime pas ma lâcheté, mes concessions, mes reculades, mes silences qui valent toutes les acceptations. Je n'aime pas mon inaction quand on me marche dessus ou quand je suis victime d'injustice. Je n'aime pas ma façon de tout abandonner et de ne rien tenter parce que j'ai peur d'échouer. Et la liste serait longue...

 Mais quand tu me regardes, quand tu me souris, quand tu ris à un de mes traits d'esprit, j'ai presque l'impression d'être tout ça : beau, drôle, vif... J'ai la sensation d'exister, de respirer, de sentir des choses impalpables, d'avoir les méninges qui tournent à pleine vitesse. Et quand tu me regardes sans rien dire, quand tu ne ris pas, quand tu m'en veux, c'est comme si je devais mourir. Parce que ce que je suis a brisé ton éclat.

 Et là, je me morfonds parce que tu ne me regardes plus. Et quand tu le fais, tu ne me dis rien. Et nous gardons nos distances, nos sensibilités, notre politesse. Et tous les jours qui passent, je me dis que j'aurai du faire quelque chose : un regard, un mot, un geste, un sourire...

 Toi que j'oublie, toi qui m'ignores. Toi qui m'aimes, toi que je ne vois même pas. Toi que je vénère alors que tu ne sais pas que j'existe. Toi que j'ai ratée, que j'ai détruite, que j'ai aimée, que j'ai effacée, toi qui m'a aimée, oubliée, brisée, repoussée. Toi qui as été victime de ma peur, toi qui n'as pas pu approcher le mur que j'érige entre moi et les autres, toi qui m'aurais donné ton coeur et ta vie en toute inconscience, toi que je n'intéressais pas, toi que je n'ai jamais vu ou deviné, toi qui repenses à moi "et si...?", toi qui as changé de vie, toi que je ne pourrai plus jamais rattraper... Qui que tu sois...

 Mon amour...