Cassure
Le réveil sonne.
Vous vous levez comme tous les matins. Rien de ce que vous allez faire dans les minutes qui vont suivre ne sera différent des matins précédents. Vous mettez un pied par terre et la tête entre vos mains. Vous prenez votre douche, vous préparez votre petit déjeuner, vous prenez votre médicament, comme d'habitude depuis presque un mois. Il y a du soleil dehors, de la musique dedans. Vous attendez le moment adéquat de votre départ. Depuis quelques mois, vous avez pris l'habitude de ne pas vous presser pour aller travailler. Plus rien ne vous oblige à faire de l'excès de zèle, à vous arracher pour la bonne marche de votre rayon. Depuis quelques mois, vous attendez, vous bouquinez, vous feuilletez des magazines, vous écoutez votre disque du matin. Depuis quelques mois, vous ne vous pressez plus vraiment. Quand vous jugez l'heure propice, vous emballez vos dernières affaires, mettez votre sac et partez prendre votre tramway qui vous conduira à votre boulot, où une journée faite de stress et de perversions vous attend. Une routine à laquelle vous ne prêtez plus attention. Et quand cette journée se termine, vous prenez votre tramway dans le sens inverse et vous rentrez chez vous. Vous allez vous planter devant votre ordinateur, internet, facebook et/ou votre blog. Peut-être allez-vous regarder un film ou une série... Vous allez traîner jusqu'à des horaires tardifs. Vous allez vous endormir, faire des rêves ou des cauchemars dont vous ne garderez qu'une vague impression le matin. Restez calme...
Le réveil sonne.
Vous vous levez comme tous les matins. Rien de ce que vous allez faire dans les minutes qui vont suivre ne sera différent des matins précédents. Vous mettez un pied par terre et la tête entre vos mains. Vous prenez votre douche, vous préparez votre petit déjeuner, vous prenez votre médicament, comme d'habitude depuis quasiment un mois. Il fait gris dehors, comme dedans. Vous attendez le moment adéquat de votre départ. Depuis quelques mois, vous avez pris l'habitude de ne plus vous presser pour aller travailler. Plus rien ne vous oblige à faire de l'excès de zèle, à vous arracher pour la bonne marche de votre rayon. Depuis quelques mois, vous attendez, vous bouquinez, vous feuilletez des magazines, vous écoutez votre disque du matin. Depuis quelques mois, vous ne vous pressez plus vraiment. Quand vous jugez l'heure propice, vous emballez vos dernières affaires, mettez votre sac et partez prendre votre tramway qui vous conduira à votre boulot, où une journée faite de stress et de perversions vous attend. Une routine à laquelle vous peinez à ne plus prêter attention. Et quand cette journée se termine, vous prenez votre tramway dans le sens inverse et vous rentrez chez vous. Vous allez vous planter devant votre ordinateur, internet, facebook et/ou votre blog. Peut-être allez-vous regarder un film ou une série... Peut-être... Vous allez traîner jusqu'à des horaires toujours plus tardifs. Vous allez vous endormir, faire un rêve ou un cauchemar dont vous garderez une impression vivace le matin. Surtout, restez calme...
Le réveil sonne.
Vous ne vous levez pas comme tous les matins. Quelque chose vous cloue au lit. Un sentiment, une impression tenace et floue que vous essayez de rattraper. Vous ne mettez pas un pied par terre, juste la tête entre vos mains. Vous aimeriez vous rendormir, histoire de rattraper ce rêve, histoire de dire que c'est un accident, désolé. Vous prenez votre douche, plus longue que d'habitude. Vous préparez votre petit déjeuner, vous prenez votre médicament comme tous les matins depuis un mois. Vous ne regardez pas dehors. Vous avez passé cinq minutes à choisir un disque. Ce matin, vous n'arrivez pas à vous décider. Vous attendez de partir. Depuis quelques mois, vous ne vous pressez plus pour aller travailler ou pour quoi que ce soit d'autres. Quand vous jugez l'heure propice, vous emballez vos affaires, mettez votre sac et partez prendre votre tramway qui vous conduira à votre boulot. Là, pendant le chemin, la boule que vous avez sur l'estomac va se faire plus pesante. Inexplicablement, vous allez ressentir une tristesse terrible. Une journée faite de stress et de perversions vous attend, une routine qu'aujourd'hui, vous avez toutes les peines du monde à ignorer. Et quand cette journée se termine, vous prenez votre tramway, plus mal que le matin, et vous rentrez chez vous. Vous allez vous planter devant votre ordinateur, internet, facebook et/ou votre blog. Vous attendrez un message, un signe, quelque chose de particulier, vous ne savez pas quoi... Une lueur... Peut-être allez-vous regarder un film ou une série... mais vous ne vous sentez pas attentif. Vous allez traîner et tourner jusqu'au milieu de la nuit. Vous allez vous endormir, espérer ne rêver de rien. Pas de panique...
Le réveil sonne.
Vous vous levez comme tous les matins. Vous avez planté cinq minutes. Ce que vous allez faire dans les minutes qui vont suivre sera décalé d'autant. Vous embrayez. Pieds par terre, tête dans les mains, douche, petit déjeuner, médicament, dehors, dedans. Vous attendez. Vous n'avez tellement plus envie de vous presser que vous n'avez plus envie de partir. Finalement, vous emballez vos affaires, mettez votre sac et partez prendre votre tramway, la boule toujours présente. Boulot, stress, angoisse, abattement, perversions. A un moment donné de cette routine, vous allez baisser les bras. Quelques secondes tout au plus mais suffisamment. Suffisamment pour vous faire frôler l'immensité du vide qui est en vous. Et puis ça passe, laissant une amertume connue au fond de votre coeur. Et quand cette journée épuisante psychologiquement se termine, cette amertume a tout repeint à l'intérieur. Vous rentrez chez vous, ordinateur, internet, facebook, blog... Un peu tout, un peu rien... Surtout rien, en fait. Vous allez traîner, vous endormir, rêver, cauchemarder... Avant de basculer, vous vous rendez compte que vous n'espérez plus. Détendez-vous...
Le réveil sonne.
Quand vous émergez, vous êtes dans le tram. Pas de souvenirs d'avant. Juste rien, du vide. Une boule, énorme, dévorante, prête à craquer. Travail, stress, guerre des nerfs. Vous menez un combat contre vous-même où il ne faut jamais abandonner, toujours aller de l'avant. Vous laissez glisser. Boulot. Boulot. Abandon. Boule frémissante de rupture. Boulot. Boulot. Soudain, une collègue vient vous voir, vous tend sa montre, en tapote l'écran, vous dit que vous avez fini. Aujourd'hui, vous finissez plus tôt et vous avez oublié. Cette journée se termine et vous décidez d'aller faire un tour. Chez votre disquaire. Dans un magasin d'occasions. Votre moral fortement égratigné vous pousse à l'achat. Longtemps, vous vous êtes demandé si votre boulimie "culturelle" n'était pas juste une accumulation d'achats compulsifs destinés à vous sentir mieux. Les gens normaux n'achètent pas tant de disques. Vous chinez, vous choisissez, vous claquez. Vous rentrez chez vous, vous allez prendre le tramway, le sac plein de "provisions". Vous passez par la rue perpendiculaire aux magasins, vous pensez à tout et à rien, vous sentez votre boule peser de tout son poids virtuel, votre lutte interne, votre passivité face à sa présence...
Et là, ça vous arrive...
Alors que vous empruntez un chemin mille fois parcouru, un coup de vent vous projette les senteurs florales d'un bouquet de verdure d'une petite cour à l'air libre. Vous respirez à fond. Il fait bon, la lumière est belle, vous percevez la rue avec une acuité nouvelle. L'odeur subtile est une madeleine de Proust.
Votre boule explose.
Dans un hoquet, vous subissez un flash-back intense. Vous êtes ado, vous traversez cette rue, vous avez mal. Votre malaise est à son stade adolescent. Il n'a pas encore mué dans une sorte d'alchimie de vie indissociable de vos choix. Il n'est pas devenu une guerre sans fin ni victoire. Mais à ce moment-là, vous ne le savez pas encore. A ce moment-là, vous pensez encore avoir le choix. Vous croyez en votre avenir, aux changements qu'il apportera, aux opportunités que vous saurez saisir, à votre vie qui deviendra meilleure. Vous pensez travail, confort, sécurité, estime, amour. Sous vos atours "grunge", vous rêvez de stabilité, de partage, de calme. Vous souhaitez pouvoir mettre votre sensibilité à l'abri. Vous souhaitez la récompense des justes et des forts.
Et alors que vous essayez de mettre un pas devant l'autre de façon naturelle, votre tristesse se répand en vous en continu, vous submerge et vous empêche de respirer. Chaque inspiration est une invitation à sortir, une compression de votre coeur. En une bouffée, vous avez fait le focus sur votre vie. Vos idéaux, vos rêves, vos amours... Tout ça a bouffé le tapis sans ménagement. Vous n'avez pas changé. Vous êtes toujours un ado à la recherche de quelque chose, sauf que vous n'y croyez plus. Votre vie n'a pas évolué, vous n'avez fait que stagner sur des désirs adolescents. Vous n'avez rien bati, vous n'avez rien créé, vous n'avez rien engendré. Vous avez pris le chemin le plus facile, celui qui consiste à ne rien faire. Vous êtes toujours pareil, à attendre que votre vie change.
A l'ombre des arbres et des immeubles, vous subissez le poids de votre adolescence inerte. Vous réalisez que rien ne change. Que l'espoir n'est qu'une carotte pour avancer.
Vous rentrez chez vous. Vous allez vous planter devant votre ordinateur, internet, facebook et/ou votre blog. Vous réalisez que c'est une perte de temps absolue. Que rien ne sort de cette machine froide. Qu'un compte facebook n'est rien. Qu'un blog ne sert à rien. Vous traînez des chaînes et des boulets. Il n'y a pas de lueurs, d'espoir, de changement. Plus vous tentez de changer, plus la situation reste la même. Rien ne change et rien ne changera. Que l'espoir est un aveuglement.
Vous repensez aux gens que vous croisez, aux gens avec qui vous travaillez, à vos amis. Leur malheur marqué sur leur visage, leurs mensonges pour le dissimuler. Tout le monde est malheureux. Vous réalisez que, malgré tous vos efforts, la désespérance est la seule voie. Vous allez vous coucher et, avant de vous endormir, vous allez imaginer Cellequevousaimez à coté de vous, comme une bouée de sauvetage d'un monde prêt à vous noyer. Vous allez rêver d'elle. Pour la première fois depuis longtemps, vous allez bien dormir. Ne luttez pas...
Restez calme...
Pas de panique...
Tout va bien se passer...
Le réveil sonne.
Vous vous réveillez. Vous laissez filer deux-trois minutes. Finalement, vous tendez le bras et éteignez le réveil. Vous vous mettez sur le coté et vous vous rendormez. Aujourd'hui, vous n'allez pas travailler.
C'est dimanche.