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En mode balise

Publié le par Buster Casey

 

 

 

 Au fond, ça va pas mal.

 

 Vous n'avez pas connu de crises destructrices depuis des lustres, vous n'avez pas fondu en larmes devant vos parents, vous avez réussi à éviter les pièges émotionnels et vos idées obsessionnelles, toujours présentes, vous laissent le sommeil libre. Vous avez toujours des insomnies, nées d'une attente insatisfaite et d'une colère impossible. Elles vont, elles viennent. Vous n'êtes pas libéré de leur contrainte mais comment le pourriez-vous ? Elles n'existent que par votre volonté plus ou moins inconsciente.

 

 Mais au fond, ça va pas mal, non ?

 

 Votre boulot n'est pas formidable mais vous avez su vous y plonger dedans. Au bout de trois ans, il serait temps, non ? Certes, mais vous êtes plus à l'aise qu'au début. Vous aimez ce que vous faites malgré tout ce qui l'entoure. Vous êtes plus performant, réactif et rapide. Vous n'êtes pas un crack mais vous vous destinez à l'être un jour. Vos clients vous aiment bien, vos collègues vous foutent majoritairement la paix et votre patron est une guigne. Mais ce n'est pas grave, vous faites face, vous exposez vos problèmes, vous êtes clair et vous ne vous faites acheter par personne. Un jour, une cliente vous a demandé si vous n'aviez pas un ordinateur dans le cerveau pour vous souvenir de tout. Quel compliment ! Quelle poitrine qui se gonfle d'orgueil ! Une simple félicitation et vous voilà prêt à sauver le pays à la seule force de vos neurones !

 

 En gros, ça va tranquille, hein ?

 

 Bon là, en ce moment, vous êtes célibataire depuis un bail. Crise, pleurs, grosse dép' (comme disent les jeunes !), rémission puis re-crise. Trop fragile pour de si grosses émotions, vous vous êtes retrouvé par terre. Et depuis maintenant de longs mois, vous gérez ces coups de butoir quotidiens. Et puis votre vie a été un peu animée : vous avez tenté la rencontre Internet (même si c'est l'autre qui l'a tentée) et ça n'a pas abouti. Mais quand même. Et puis vous avez eu cette ancienne voisine, tombée du ciel, qui se souvenait si bien de vous alors que vous ne vous rappeliez plus trop d'elle. Elle vous a vu, vous a abordé. Elle vous a sorti de votre carcan et de votre routine. Vous alliez au restaurant, au cinéma, vous l'avez même, sur sa demande insistante, emmenée au casino pour perdre jouer de l'argent. Il faut avouer que, durant ce laps de temps, une légère mais profonde confusion a gagné votre cerveau. D'abord effrayé d'être sorti ainsi de vos habitudes monastiques par quelqu'un qui irradiait la vie, vous avez suivi le mouvement. Pourquoi n'avoir rien osé ? Cette demoiselle habitait Paris. C'est loin Paris. C'est court en avion mais c'est loin du coeur. Alors, vous vous êtes posé la question : se lancer ou pas ? Capable de supporter la distance et la séparation ou pas ? La première fois qu'elle est partie, ça a été rude de retrouver un cadre "normal". Et vous sentiez un creux terrible. Dur de supporter, surtout quand il n'y avait aucune liaison. Alors s'il y en avait une... Vous êtes un tactile, un teneur, un qui prend dans les bras, qui tient la taille... Vous êtes le naufragé qui s'accroche à sa bouée. La deuxième fois qu'elle est partie, ça a été pour de bon et vous ne l'avez plus jamais revue depuis. Un connard d'ingé-son a pris votre place. Mais c'est pas grave, vous avez su gérer la situation et tourner la page. Il n'y avait pas matière à esclandre. Un bleu au coeur, à peine une éraflure. Quand celui-ci a été victime d'attentats terroristes largement plus sanglants, pas de quoi s'en relever la nuit. La pièce est toujours d'origine.

 

 Bon d'accord, c'est pas la joie mais sinon, ça va à part ça ?

 

 Culturellement, ça tient le coup. Tous ces films à voir, ces disques à écouter... Toujours à la recherche du prochain "truc", toujours impatient de découvrir et faire découvrir. La culture est sans fin, votre curiosité aussi. Vous pouvez voir Pirates Des Caraïbes 4, Rampage et Tree Of Life dans la même semaine. Parler de Miossec et de black-metal. De BDs, de polars et de Onfray. Malgré tout, vous vous trouvez encore stupide. Il y a tellement d'immenses terrains que vous n'avez pas défriché. Si vous aviez de l'argent, ce serait encore pire. Vous ne pourriez pas vous acheter trois voitures, un bateau ou une table dans un restaurant à putes de Monaco. Une maison à la limite, histoire d'avoir de la place, et des meubles IKEA, histoire de pouvoir tout ranger. Et un chien, pour avoir quelqu'un à qui parler...

 

 Ah ben non, ça recommence ! Allez, ça va aller ! Et puis la santé est bonne, hein ? Vous avez changé de lunettes, vous vous êtes coupé les cheveux, tout le monde apprécie votre nouveau look. Et à part votre estomac qui fait des siennes, vous tenez le coup. Et vos insomnies aussi.

 

 Et vos soudaines crises d'angoisse,

 Vos nausées,

 Votre fatigue,

 Votre épuisement nerveux...

 

 D'accord, c'est pas terrible mais bon, c'est passager tout ça. Au Darfour, c'est pire. Vous allez vous en sortir... Vous êtes fort, ça va bien se passer. Vous avez des amis, la santé, un boulot, des parents aimants, vous êtes pas à la rue...

 Au fond, ça va pas mal, non ?

 

 Non.

 

 Au risque de cracher dans la soupe, de ne pas entrer en symbiose avec votre moi, de ne pas suivre une ligne sociale où il faut toujours aller de l'avant, avec le danger de prendre la pose, de ressasser au lieu d'avoir les yeux tournés vers des lendemains qui chantent, de ne pas être optimiste et de ne pas savoir profiter des petites choses...

 

 De ne pas vous contenter d'un boulot déshumanisé, véritable concentré de chaîne alimentaire et de bal de tartuffe où tout le monde aime tout le monde avec un couteau planqué dans le dos et où tout le monde revêt son costume de super-héros, une boite de cirage bien planquée dans les plis de la cape. On ne peut pas réussir en étant incorruptible mais certains le croient, ceux qui ont suffisamment de couches pour se persuader du contraire. Ceux qui ont la mémoire courte, les mythomanes, les révisionnistes... Les lâches, comme vous. Vous aussi, vous rêvez d'enfiler un costume de justicier et abattre l'hypocrisie à coups de fusil à pompe. Selon les jours, les moments, les revers de vos collègues, l'imbécillité de vos clients... Toucher l'humanité du doigt ne se fait pas sans risques. Cela vous ronge, vous travaille et aura votre peau au final.

 

 Non, ça ne va pas. Et c'est de plus en plus difficile à dire. C'est de plus en plus difficile à assumer. De plus en plus difficile à supporter. A entendre. A faire comprendre. Dans votre misère, vous avez l'impression que les gens ne vous écoutent plus, se lassent de vos jérémiades, soupirent à vos peines remâchées. Comme si les gens ne vous comprenaient pas ou plus. Comme si votre incapacité à vous en sortir les avaient découragés, eux aussi, à vous en sortir.

 

 Mais vous êtes malade quelque part. Pas physiquement, pas psychiquement. Au fond de vous. Au fond de vous, il y a cette mine prête à exploser. Il y a votre doigt sur le bouton. Il y a votre décision de faire sauter le barrage et de tout noyer. Les sentiments, les échecs, les maladies, les questions et les réponses. Vos peurs, vos freins et vous-même.

 Votre dégoût.

 Votre pire ennemi.

 Votre reflet dans le miroir.

 

 Votre boulot vous essore. Vous n'avez pas de vie. Alors vous vous enfermez dans votre sous-culture. Quitte à parler de ce dont tout le monde parle, autant en parler mieux, non ? Alors vous bouquinez à mort, vous écoutez de la musique metal, vous regardez de TOUT... Au final, vous n'en parlez pas mieux, vous n'en avez rien fait... Et votre vie est derrière vous. Tout doucement, jour après jour. Elle file et vous la regardez passer. Et vous vous désespérez qu'elle ne passe pas plus vite tellement votre vie vous gonfle.

 Votre ennui.

 Votre fragilité.

 Votre pire ennemi...

 

 Votre boulot vous assomme et votre "culture" ne vous a pas appris à être un manuel. C'est bien beau de connaître tous les albums d'Iron Maiden et les musiciens qui s'y sont succédés ou de citer les influences derrière Matrix mais quand un joint pète ou que la roue se dégonfle, vous faites quoi ? Réparer un robinet ? Poser de la tapisserie ? Vous savez cuisiner ? Le désastre se profile à l'horizon, qu'allez-vous faire ? Aurez-vous le cran de l'assumer jusqu'au bout ? Vous voulez tellement en finir mais même ça vous n'en n'êtes pas capable. Même dans un acte d'autodestruction, vous restez passif. A attendre que ça vienne tout seul. Mais des pianos qui se décrochent du huitième étage, il n'y en a pas tous les jours, mettez-vous ça dans le crâne !

 Votre haine.

 Votre solitude.

 Votre pire ennemi...

 

 Pour expliquer votre célibat, en ce moment, vous ressortez toujours la même histoire: votre précédente relation vous a détruit et il vous faut du temps. A chaque nouveau public sa variante, selon les goûts du jour. Mais tout cela sent un peu le réchauffé. Voulez-vous vraiment quelqu'un ? Faites-vous vraiment des efforts pour essayer de vous trouver quelqu'un ? Trop grande, trop jeune, trop grosse, trop vieille, pas assez cultivée, trop coincée, trop machin et pas assez de trucs. Et puis soudain, c'est le grand amour. Le coup de foudre, la femme idéale, l'être aimée, l'âme soeur et tralala... Ah vous en avez bouffé de l'autre moitiée : névrosée, paumée, psychopathe, masochiste, indécise... Vous en avez marre d'être seul mais vous vous barrez en courant dès qu'une occasion se présente. Mais quelles occasions ? Faudrait-il accepter tout ce qui passe sous prétexte de trois semaines de bonheur et voguent les conséquences ? Mais quelle est la limite entre choisir avec précaution et la maniaquerie masturbatoire ? Vous êtes un décalé de naissance : vous pensez le bon coup avec trois coups de retard. Vous soupesez, vous analysez et, finalement, au terme d'une réflexion intense, vous prenez votre décision... alors que votre conquête est déjà mariée à un autre !

 Votre attente.

 Votre indécision chronique.

 Votre pire ennemi...

 

 C'est vous. C'est vous qui appuyez sur les boutons. C'est vous qui décidez du poids de vos paroles et de vos silences. Vous êtes le tiède, le moyen, celui qui démarre mais qui n'arrive pas à franchir la ligne. Votre routine vous asphyxie. En sortir vous terrifie. Vous imaginez votre "autre" vie avec l'émerveillement et le rêve d'un pays étranger. Votre indépendance, votre épanchement amoureux, votre accomplissement dans votre travail... Vos enfants et votre chien... Votre âge adulte où vous n'aurez plus à vous faire peur avec vos ombres. Vous aurez appris à marcher dans la vie, un pas après l'autre. Vous aurez tué votre pire ennemi.

 

 Alors, ça ira. Vous aurez gagné.

 

 Vous vivrez...

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F
<br /> <br /> Au fait, tout à fait daccord avec toi sur la réponse faite à Tamtam...<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Qui souffre le plus ? vous ou celui ou celle qui vous attend dans l'ombre ?, mon coeur s'emballe à chaque espoir donné et l'envie de se faire haraquiri à chaque espoir<br /> repris...<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> gagné, certes, jour àprés jour, car on ne se projete plus dans aucun avenir,... mais gagnée contre qui..?.et est-ce que ça valait la chandelle? Jour après jour, toujours debout.., pour l'enfant<br /> si aimé et le chien adoré, car ils ne sont pour rien..., comme disait Einstein, la vie c'est comme le vélo, faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre...mais comment faire si on n'a pas<br /> appris à faire du vélo...? Biz<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> On met des petites roues et on attend que la confiance revienne ?<br /> <br /> <br /> :)<br /> <br /> <br /> Biz<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> .....Et tant de regrets...<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Pour qui ?<br /> <br /> <br /> <br />