La Seance Du Dimanche n°7
Musée Haut Musée Bas
de Jean-Michel Ribes
Encore un OVNI à chroniquer. Deux à la suite, après Surveillance la semaine dernière, admirez l'exploit. Celui-là est encore plus particulier parce
qu'il nécessite une base culturelle télévisuelle ciblée.
En effet, si vous n'êtes pas un amoureux de Palace, vous allez vous demander ce que vous regardez. Rappelez-vous : Palace, c'était les années 80, c'était Antenne 2,
c'était nouveau, c'était gonflé, c'était 20 ans trop tôt. Si cette étrangeté cathodique reste aujourd'hui auréolée d'un statut culte mérité, cela tient en plusieurs points. La démesure des moyens
mis en oeuvre, l'inédit de la chose (même si Merci Bernard avait déjà posé les bases avec le même créateur aux manettes), l'humour volontiers absurde de l'entreprise, un casting
d'acteurs cinéma impressionnant auquel s'ajoutait l'ancienne et la nouvelle garde des humoristes de l'époque (aujourd'hui, la nouvelle est devenue l'ancienne et l'ancienne a passé l'arme à
gauche). Des running-gags succédaient à des sketchs non-sensiques, entrecoupés de numéros de danse. Certains sont depuis entrés dans le patrimoine : les brèves de comptoir, le Professeur Rollin,
"Je l'aurai un jour, je l'aurai" (récupéré par une bande d'assureurs), Piéplu dans le rôle de l'homme aux clés d'or... Bref, du culte en barre de douze... qui n'a pas eu de succès. Les
téléspectateurs, malmenés dans leur confort et certitude télévisuelle, bercés par les animateurs de l'époque (les Sabatier, les Foucault, les Drucker...) ont boudé ce vent d'air frais dans les
canaux hertziens. Chez nos voisins anglais, le choc Monty Python's avait frappé en 1969 et force était de constater qu'il ne s'installerait pas dans nos foyers de sitôt malgré les efforts de
Jean-Michel Ribes.
Hééé oui, le même Ribes qui a fait le film dont nous parlons en ce dimanche au temps incertain (du moins au moment où j'écris ces lignes). Et si je tends une perche vers Palace,
c'est pour souligner la communauté d'esprit de ces deux oeuvres. Si l'une developpait des situations et des personnages dans un palace, le film fait de même... dans un musée. Vous voyez, c'est
simple.
Au départ, Musée Haut Musée Bas est une pièce de théâtre que son auteur a adapté pour le cinéma. Loin de figer son récit, Ribes met les moyens de ses ambitions avec une décoration
et des plateaux immenses pour éviter le "théâtre filmé", unité de lieu oblige. Et là encore, sous des effets de caméras amples, Ribes fait défiler tout le bottin du cinéma français. Je vous fais
grâce de la liste, vous n'avez qu'à vous abîmer les yeux sur l'affiche. Et comme Palace, il développe la même dynamique. Sauf que quelque chose qui passe bien à la télévision a plus de
difficultés à tenir sur un grand écran. Un parallélisme casse-gueule : si le rythme Palace était légitime dans la petite lucarne, il est branlant au cinéma. En tenant son scénario sur un
fil tenu essayant d'emmener tout ça vers un but (la nature qui reprend ses droits et un musée qui se laisse gagner par les éléments), MHMB est majoritairement une succession de sketchs
et de running-gags, se croisant de temps en temps. Plus qu'une histoire, Ribes brasse tout le quotidien d'un musée (les sorties scolaires, les amateurs d'art bloqués sur une seule période, les
gens qui vont au musée pour se cultiver, les expositions modernes...) comme son fonctionnement interne. Le métrage avance ainsi en des gags inégaux, certains touchant au sublime (la visite du
ministre de la culture joué par un André Dussollier impérial, la visite des touristes allemands...) tandis que d'autres s'essoufflent (l'idée de transformer les visiteurs en objets d'art est
trop longue, la résurrection du manutentionnaire avec la peinture du Christ en arrière plan, le meurtre comme forme d'art ultime...). Des pensées fulgurantes sont aussi disséminées ça et là
et Ribes manie bien sa caméra pour croiser toutes ses histoires de façon fluide. Malgré tout, il développe une pensée iconoclaste, dépassant le coté bric-broc de l'entreprise, à savoir
l'opposition culture/nature. Et le choix est vite fait : la nature c'est bien mais la culture se sera toujours mieux. Si cela est déjà expliqué de façon percutante dans la scène du blues des
gardiens de musée (grand moment !), le rôle de Michel Blanc, conservateur anti-nature vindicatif, est encore plus éclatant. A travers sa voix, Ribes règle ses comptes en proclamant que la nature
représente la préhistoire et que la culture est l'aboutissement, et donc la modernité et l'évolution humaine. Un point de vue radical même si la fin donne raison à la nature de façon
écrasante.
Patchwork dirigé d'une main de fer, MHMB agace, irrite, amuse et titille nos neurones assoupis. Réflexion sur ce qu'est l'art, sa représentation comme sa perception, le film se
paye quand même un niveau d'écriture à la hausse. Venant de Ribes, c'est un peu normal de ne pas avoir eu une grosse comédie de boulevard mais un film intelligent où le rire se fait souvent plus
intellectuel que bruyant et où se dépeint une comédie humaine culturellement réjouissante. Malgré les réserves précitées, le film arrive à joindre le cinéma populaire et celui plus "auteurisant"
avec réussite. Dommage, le film s'est planté en salles malgré une promo de bourrin. Comme quoi...
Le DVD est correct. Image propre et son ce qu'il faut pour ce type de film. En unique bonus, un documentaire de près de 40 minutes, mêlant interview de Ribes et images de tournage. Il
montre une équipe au travail, un réalisateur très méticuleux et une ambiance assez détendue sans verser dans la grosse déconne. Intéressant même si incomplet.
Et pour vous convaincre...
A bon entendeur...