Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Hairbrush

Publié le par Buster Casey

Un cheveu blanc...

Apparu par inadvertance, aperçu par hasard alors que je me peignais. Un drôle de reflet dans la glace qui attire mon regard. D'abord l'interrogation. Je ralentis le mouvement de brossage jusqu'à l'arrêter et je plisse les yeux. Ensuite, la surprise talonnée par l'incrédulité. Je rapproche mon visage du miroir, je forme un petit halo de buée et je pense que je devrai aller chercher mes lunettes. Ne pas conclure trop vite. Pas d'affolement. Une illusion d'optique peut vite arriver. J'imagine toutes les hypothèses, réfléchis à toutes les possibilités, envisage toutes les conséquences. Je triture ma chevelure, fais un tri capillaire. Pendant un instant, je me dis que j'ai rêvé. Et... Enfin, l'acceptation. Une fatalité qui ne dit pas son nom.

J'ai un cheveu blanc et je ne vois plus que lui. J'ai longtemps porté comme une fierté cachée cette absence de marque, ce non-début de mixité entre le poivre et le sel. Par la force des choses, cela permettait de maintenir un flou agréable autour de mon âge, aussi bien pour le monde extérieur que pour moi. Comme un syndrome de Peter Pan par le cuir chevelu. Au fond de moi, je savais que la réalité se chargerait un jour de m'administrer une piqure de rappel type mammouthesque mais que tout cela était loin. Quand les gens sont persuadés de vous voir plus jeune que vous ne l'êtes, vous finissez par le rester, mû, peut-être, par une peur de décevoir. Qui sait ? On peut même se persuader que nous échapperons, pendant un certain laps de temps, à l'écoulement du sablier. Que, pour nous, les grains sont plus gros, tombent plus lentement ou bouchent le goulot. Vous vous sentez plus léger, vous êtes insouciant, vous commencez presque à vous trouver pas trop repoussant, vous vous coiffez un matin en sifflotant et là...

Le décompte est en marche. Lui n'est que le premier. En viendront bien d'autres, plus nombreux. Tous se développeront autour du point d'origine, comme la propagation d'une épidémie dont le remède est inconnu. Vous ne pouvez rien faire et cette seule évidence est un abattement total. Bientôt, votre couleur d'origine cédera la place à une blancheur que l'on qualifie de vénérable. Si tous ne sont pas tombés, bien entendu.

Un cheveu blanc, signe de compte à rebours. Le premier de vos derniers jours.

Un cheveu blanc, rappel que vous allez vieillir. Rectification : que vous commencez à vieillir !

Pour passer le temps, vous allez les compter, au fur et à mesure. Quand vous en parlerez, les gens ne vous croiront pas. Des cheveux blancs ? Où ça ? Est-ce un réflexe d'auto-défense, qui les empêche, à cause de ces signes ostentatoires de vieillesse, de penser à leur propre inévitable déclin ? C'est possible, vu que les personnes plus âgées se feront un plaisir de vous faire la remarque sur ces indésirables qui apparaissent sur votre tête et votre barbe. Les gens sont mesquins de vous rappeler, dès qu'ils en ont l'occasion, que vous allez vous écrouler.

Un cheveu blanc, fin de votre innocence. Le premier du reste de votre vie.

Soudain, il vous rappelle à quel point vous êtes à l'arrêt depuis si longtemps. Le jour où vous avez mis votre vie en pause... Quand était-ce déjà ? Il y a plus de quelques mois... L'année dernière, peut-être ? C'était à cause du boulot ? D'une fille ? Vous vous souvenez de la décision de souffler, de laisser filer, de ne plus vous impliquer mais pour quelle raison ? Rupture ? Oui, mais laquelle ? Dépression ? Solitude ? Ou votre boulot qui vous rabaisse plus qu'il ne vous épanouit ? A moins que ce ne soit après votre tentative de suicide ? Ce moment où vous n'avez pas pu appuyer suffisamment fort la lame sur vos veines parce que cela vous faisait trop mal ? A quel moment êtes-vous mort sans vous en rendre compte, sans le moindre cheveu blanc alors à l'horizon ? Avez-vous seulement essayé de vivre une fois avant ce drame capillaire ?

J'ai mâché et recraché ma jeunesse bien avant ça. Dans une fiction, le mec solitaire développe toujours une aura de mystère, un petit je-ne-sais-quoi d'intouchable renforcé par son intelligence souvent très affutée. Si les gens ne l'approchent pas, il les fascine néanmoins. Et je ne vous parle pas des filles qui en font des rêves humides en cachette mais qui ne franchissent pas le pas, coincées dans les préjugés et les règles sociales. Seule la jeune innocente saura voir plus loin en découvrant un garçon écorché vif à la sensibilité magnifique (il écrit des poèmes !). Là, nous sommes dans la version américaine. La réalité se rapprocherait plutôt de Jean-Claude Tergal : je suis arrivé mystérieux, je suis reparti mystérieux et je quitterai la scène mystérieux. C'est tout le poids de ce jeu : il faut l'assumer !

Un cheveu blanc, révélateur du grand paradoxe.

Je n'ai jamais aimé ma jeunesse. Trop dure, trop compliquée, trop cruelle. J'ai mis longtemps à accepter que j'étais forcé de grandir, moi qui voulais rester dans un état d'enfance perpétuelle. Puis, une fois la réalité avalée, j'avais hâte d'être adulte. Hâte de sortir de cette période d'emmerdes, de troubles et de quête de soi. Aujourd'hui, je me rends compte que ces emmerdes grandissent avec soi et qu'on ne les abandonne pas passé 18 ans. En plus des vôtres, vous gagnez celles des autres aussi. Ne les demandez pas, elles sont fournies avec. Maintenant, je repense à ce temps où j'étais petit garçon et la vie plus simple, en chantant. Y'a-t-il quelque chose qui déconne à ce point pour ne jamais savoir ce que je veux ?

Ce que je veux est simple pourtant : moins de violence, plus d'amour. Être peinard, avoir des amis, avoir de l'inspiration, pouvoir écrire quand je veux dès que je veux et ne pas me torturer la tête pendant des minutes entières pour avoir une idée ou une phrase qui me plaisent. Avoir la paix. Moins de débilités autour de moi. Arrêter de croire que l'amour existe. Arrêter de le chercher. Vivre avec l'idée que le train est passé.

Je regarde autour de moi. Des mètres de Dvds et de Cds ont forgé ma vie. Ma quête incessante de curiosité intellectuelle, cinématographique et musicale comble un vide. Ma timidité, ma sociabilité défaillante et mon mal-être m'ont poussé dans les bras d'une facette de la culture. Une recherche et un investissement personnel qui m'ont permis de traverser toutes ces années. Aujourd'hui, je me demande si cette recherche ne s'est pas transformée en acte compulsif. Si tout cela n'est pas devenu plus désespéré qu'auparavant... Je me rends bien compte que ça ne sert à rien. Tout ce savoir n'est pas partageable et plus personne ne retient quoi que ce soit.

Le premier cheveu blanc, signe de mélancolie et d'enfermement sur soi.

On s'éloigne des autres car nous n'avons pas envie qu'ils nous voient pérécliter. Finir vieux et seul, c'est aussi un engagement volontaire. Finir en boule, chez soi, en maudissant le monde, en pleurant sur nos erreurs et en souhaitant refaire sa vie, c'est aussi une volonté propre, détachée de toute bassesse extérieure. Quand on est petit, on souhaite devenir grand. Mais quand on est grand, on finit par souhaiter être mort.

A cause d'un malheureux coup de peigne, la vie vous percute en pleine poire et vous rappelle que vous finirez blanchi, aigri et esseulé, pot de fleur à une table de bar, regardant passer les minettes et leur petites jupes, reluquant comme un vieux dégueulasse et égrenant dans l'amertume toutes vos "fois où" et "si j'avais su", comptant vos morts et récitant ces mots que vous n'avez jamais dit.

Il n'y a rien au bout que vous ne sachiez déjà...

Commenter cet article
O
de beau textes,de belles phrases,néanmoins le sujet ma fait tuer XD
Répondre